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Pour ceux qui sont pressés, ceux qui ne veulent
pas se perdre dans les méandres du conte, ceux qui ont
peur de quitter les sentiers et de dériver dans les ronces...
Les carnets de route d'Evanescence
" Fermez la bouche, que vos oreilles entendent,
l'histoire arrive, déjà elle s'approche, déjà
elle est ici, et parle avec ma voix. "
Une veillée au coin du feu
" Lorsque le premier bébé rit
pour la première fois,
son rire se brisa en un million de morceaux,
et ils sautèrent un peu partout. Ce fut l'origine des fées. "
Peter Pan, James Barrie
Dans la cheminée un feu brûlait. Son joyeux crépitement
animait la pièce silencieuse. Les flammes faisaient briller
les yeux d'une petite fille assise au pied de l'âtre, qui
le regardait comme hypnotisée par cette lumière
vivante. Les joues rouges pour être trop restée près
du feu, elle avait les cheveux défaits et ils s'étalaient
sur son dos. Elle fut tirée de sa rêverie lorsque
sa grand-mère lui demanda de se reculer.
" - Il faut que je prépare le poêlon pour faire
griller les châtaignes et tu pourrais te brûler si
tu restes trop près.
- C'est si joli un feu et si triste à la fois!
- Pourquoi penses-tu cela ?
- Je trouve ça joli parce que les couleurs sont belles,
mais il meurt à chaque fois ! Ce que je préfère
c'est le rougeoiement des braises, c'est si lumineux au début
! Et puis ça finit par s'éteindre au bout de quelques
temps... Il y a un mot pour dire ça grand-mère ?
"
Dans un murmure la grand-mère prononça : "
Evanescence " . Elle demeura un instant les yeux dans le vague
comme si elle se remémorait un vieux, très vieux
souvenir qu'elle avait gardé dans le secret de son coeur.
" - Evanescence, reprit la petite fille. C'est joli ce mot,
ça désigne la lumière qui s'éteint
doucement? C'est ça ? "
La grand-mère, sortie de son rêve, appela sa petite
fille :
" - Eä, écoute, je vais te raconter une histoire...
Une rencontre inattendue
" Les fées nous échappent. Elles
sont radieuses,
et on ne peut pas les saisir, et, ce qu'on ne peut
pas avoir on l'aime éternellement. "
Jules Renard
un beau jour ma mère qui voulait faire
une tarte pour mon anniversaire, m'envoya cueillir des fraises
des bois dans la forêt de Brocéliande. A l'époque
j'étais jeune et svelte, je passais mes journées
à découvrir les merveilles de cette forêt
dont je connaissais les moindres recoins. Les yeux bandés
je pouvais retrouver mon chemin, m'orientant grâce aux arbres
et aux menhirs. Ce matin là je sus donc où trouver
les meilleurs fruits. Je me rendis dans une petite clairière
où les rayons de soleil venaient doucement caresser le
sol recouvert de mousse et de fraises des plus vermeilles.
Alors que je me penchai pour en ramasser quelques
unes, un battement d'ailes chatouilla le creux de ma main, tel
un papillon. Délicatement je retirai ma main du petit buisson
et vis apparaître... une fée ! Les ailes du petit
être, recouvertes de perles de rosée et telles celles
d'une libellule, étaient d'une couleur des plus douces.
Je ne saurais te la décrire mais l'image que j'en ai gardé
est celle de la couleur du reflet de la lumière dans une
bulle de savon. Ses yeux rappelaient les tons printaniers et ses
cheveux, semblables à des fils de soie, reflétaient
les chaudes couleurs estivales. Soudain elle m'interpella pour
me faire sortir de mes pensées.
" - Eh, ça va là haut, tu m'entends ? "
Le son de sa voix, bien que difficilement perceptible, m'atteignit
et je lui répondis, confuse.
" - Bon-bonjour, qui êtes-vous ?
- Je t'en supplie, ne me vouvoie pas ! Moi c'est Evanescence.
Ne fais pas cette tête enfin, je ne te veux aucun mal !
- Mais, mais, d'où venez, pardon d'où viens-tu
?
- Je reviens tout juste d'un long périple à travers
l'Europe, durant lequel j'ai rencontré de nombreux amis
du Petit Peuple. "
Complètement abasourdie par ce qui était en train
de m'arriver, ne le réalisant pas, pour tout te dire, je
m'intéressai à elle et lui demandai qui étaient
les amis en question. Elle accepta sans hésitation et elle
escalada mon bras pour parvenir à mon épaule où
elle s'immobilisa pour me conter le récit de ses aventures.
Depuis le beau royaume de France...
" Les fées font leur lessive dans une
bulle de savon
et cuisent leur soupe sur un feu follet. "
Béatrix Beck
Evanescence commença alors son récit
" Je vivais depuis toujours dans le Poitou, et m'amusai
ce jour-là avec les Farfadets, qui sont les cousins des
Fadets. Mais je ne connaissais pas beaucoup ceux-ci parce qu'ils
vivent cachés dans les grottes. Au contraire, les Farfadets
aiment le grand air et les champs de lavande ! Nous jouions donc
eux et moi à lutiner les bergers, lorsqu'une hirondelle
atterrit au milieu des moutons. Autour de son cou, elle m'apportait
un message du roi des fées : Oberon. Il me chargeait d'une
mission importante : recenser tous les lutins et toutes les fées
d'Europe !
Je me préparai à partir sans plus tarder, et décidai
de commencer mon périple par une visite à mon amie
Mélusine. Mélusine est une Serpe, une fée
qui se transforme en serpent un jour par semaine. Ce sont des
fées bâtisseuses, qui vivent dans des châteaux
ou dans les édifices qu'elles ont bâtis. Mélusine
me recommanda de partir vers la Sologne et la Franche-Comté
en premier. Mais je devais me dépêcher, et choisir
un moyen de locomotion sûr, car nous étions en décembre,
et la Guillaneu sillonnait les campagnes sur son cheval sans queue
ni tête. Par chance, l'hirondelle qui m'avait apporté
le message du roi accepta de me transporter sur son dos jusqu'à
une forêt.
Je pénétrai dans celle-ci et m'aventurai dans les
sous-bois en prenant garde à ce qu'aucune épine
ne déchire mes ailes. Cela m'occupait tellement que je
ne guettais plus les petits signes qui auraient pu me dévoiler
une présence
Soudain, alors que je folâtrai
dans une clairière, une sorte de boule d'herbe bondit devant
moi et m'emprisonna de ses liens ! Je criai à l'aide, me
débattis, mais rien n'y fit, j'étais belle et bien
prisonnière ! Je gisais à même le sol depuis
un trop long moment, lorsque je vis s'approcher une fée
coquette et tout à fait adorable. Elle se pencha sur moi
et murmura une formule magique en battant des ailes. Mes liens
se défirent d'un coup, et ma sauveuse éclata d'un
rire cristallin : " Vous avez été prise au
piège de la Tourmentine ! Elle aime égarer les promeneurs
et les priver de tout mouvement
vous avez de la chance que
je vous aie trouvée ! Je me présente : je suis la
Parisette "
J'eut aimé lui répondre, mais j'étais transie
par ce séjour à terre en plein hiver. Les petites
fées comme moi prennent vite froid ! Je ne put qu'éternuer,
et répandre des paillettes autour de moi. Voyant que je
grelottais, la Parisette s'inquiéta : je semblais véritablement
malade. Elle me fit part de ses peurs et décida d'avoir
recours au meilleur des remèdes pour me soigner : aller
chercher une Tisanière. Ces bonnes fées connaissent
la vertu et l'usage de chaque plante mais, hélas, elles
sont devenues très rares. Heureusement, la Parisette connaissait
chaque recoin de la forêt et nous en trouvâmes rapidement
une. Elle me prépara une décoction dont elle ne
voulut pas me révéler le secret, et dès que
je l'eut avalé (non sans me brûler la langue d'ailleurs)
je bondis sur mes pieds : j'étais de nouveau d'attaque
pour la suite de mon voyage !
En essayant de quitter la forêt, je rencontrai de belles
jeunes filles blondes qui jouaient dans une clairière.
Elles s'éveillaient du long sommeil glacé dans lequel
l'Hiver les avait retenues prisonnières, et le faisait
fuir par leurs rires. Elles semaient le printemps et faisaient
renaître la nature : elles étaient les Reines de
mai.
Je sortis enfin de la forêt. Un renard voulut bien me prendre
avec lui, et nous voyagions en suivant les routes. Par une nuit
de pleine lune, je distinguai à un carrefour une forme
blanche qui m'intrigua. Je sautais du dos de mon renard et me
dirigeai vers elle. Ce que j'avais aperçu était
en fait une Dame Blanche : elle s'arrêta discuter avec moi.
Cette fée était affligée de la peur que les
gens avaient d'elle. En effet, beaucoup la confondaient avec ses
cousines anglaises, les Weird Ladies, qui hantent les lieux de
leur trépas et sont annonciatrices de malheurs. Elle, était
simplement une fée bienveillante des campagnes ! Ce n'était
pas d'elle qu'il fallait être effrayé, mais plutôt
des Dames Noires, qui sont Weird Ladies devenues mauvaises. Elles
hantent la chambre la plus froide des sombres manoirs inaccessibles
et, perverses, tourmentent les malheureux qui croisent leur chemin.
J'apprisà la Dame Blanche l'ordre de ma mission et elle
me proposa de m'aider en me faisant rencontrer une amie : une
Margot la fée. Celle-ci, solide paysanne, rustique mais
belle, accepta de me présenter la Féerie et le Petit
Peuple des campagnes françaises. Margot était une
danseuse, aimait la vie et ses joies les plus simples. Elle veillait
sur les foyers, les fermes
De nature généreuse,
il ne fallait cependant pas que je lui joue de tour car elle savait
se venger.
Margot m'accueillit avec chaleur et commença par me prévenir
contre la Beuffénie qui effraie les voyageurs la nuit.
Pire encore était la Marse qui aime à se métamorphoser.
Cette fée déchue vit entre les rocher mais je n'avais
pas à m'inquiéter, car elle n'attire à elle
que les hommes, qu'elle épuise toute la nuit. Quant à
la Vouivre, cette splendide femme se baigne nue le soir dans les
eaux vertes et claires, mais sa forme originelle est celle d'un
serpent ailé sur le front duquel est incrusté un
rubis étincelant. Cependant, Margot connaissait aussi des
fées plus gentilles, comme la Trotte-Vieille qui récompense
les bambins qui ont été sages mais dévore
les polissons. Elle était absorbée par ses récits
lorsqu'elle se leva tout d'un coup.
" Que se passe t-il ? " demandai-je. " Une femme
dans un foyer que je protège est sur le point d'enfanter
! Viens avec moi, nous allons réveiller les Bonnes Dames
" me répondit Margot. Les Bonnes Dames sont des fées
marraines qui décident du destin de l'enfant. Certaines
vivent jusque dans la forêt de Brocéliande, sous
le hêtre de Pontus. J'allai donc avec elles assister à
la naissance de l'enfant à qui elles accordèrent
plusieurs dons. Elle me racontèrent qu'elles avaient toujours
peur que de mauvaises fées ou de méchants lutins
comme les Changelins viennent échanger leurs propres rejetons
contre les nouveau-nés des humains. Il est alors très
difficile de procéder à l'échange inverse
et de redonner le nourrisson à sa famille
Le jour suivant, fatiguée par ma nuit, je me reposais
au milieu d'un champ, dsans la paille. Je somnolais dans à
l'ombre des épis de blés lorsque qu'une petite voix
aigüe me réveilla : " Qui es-tu ? Que fais-tu
ici ? Tu es chez moi ! " entendis-je. J'ouvris les yeux et
découvris un lutin étrange qui me semblait à
mi-chemin entre le Farfadet et le bouc. Il m'apprit qu'il était
en fait le descendant à la fois d'un Caraquin, effectivement
cousin des Farfadets, et d'une chèvre, et qu'on le nommait
le Faudoux. " Je ne veux pas que tu restes là ! Cria
t-il. C'est mon quartier, et je veux pouvoir déranger les
moissonneurs en paix ! " Quand je lui racontai mon histoire
il me répondit que je pouvais descendre vers le sud pour
rencontrer Alûti, qui aime les chevaux mais gifle de sa
main de fer les importuns. Effrayée, je refusai d'y aller,
et sifflai un étourneau qui volait au-dessus de nous.
Il m'amena en direction du nord-est et me déposa sur une
colline de laquelle des chants parvenaient à mes oreilles.
Je m'approchai intriguée, et découvrit de petites
fées (quoique plus grandes que moi !) qui dansaient en
rond sous la lune mais semblaient très lasses. Quand je
les interrogeai, elles me répondirent simplement qu'elles
étaient des Sauvageons mais qu'elles ne pouvaient pas m'héberger.
Mon étourneau me reprit sur son dos et voleta vers un village
en contrebas. Il se posa dans l'ouverture d'une lucarne.
J'entrai dans le grenier, et découvrit une foule de joyeux
lutins qui dînaient et m'accueillirent à bras ouverts.
Ce n'étaient pas n'importe lesquels, c'étaient les
VRAIS Lutins, les seuls et uniques, revendiquant leur nom ! "
Nous vivons ici depuis une centaine d'hivers, me contèrent-ils.
Toute la maison est nôtre, de la cave au grenier, sans oublier
les vieilles armoires, les tiroirs, le buffet et tous les placards
! Pour l'instant, une paix est établie entre les propriétaires
et nous
mais cela ne va pas durer, ajouta coquin, leur chef.
Aucun Lutin ne peut résister à la tentation de voler
des boutons, ni de tout changer de place dans les placards ! Les
humains qui habitent ici sont trop grands et trop lourds pour
nous attraper, nous sommes insaisissables et vifs comme l'éclair
! " Ses yeux malicieux s'assombrirent toutefois lorsqu'il
évoqua ses ennemis : les Gobelins, qui vivent dans les
égoûts. Cousins éloignés, ils sont
eux réellement mauvais, méchant et sournois, et
n'hésitent pas à nuire. Cependant la maison regorgeait
également d'amis, comme le Piot-Chan, qui vivait dans le
jardin, et même les souris.
Justement, l'une d'entre elles s'apprêtait à partir
en vacances chez son frère le mulot et me proposa fort
gracieusement de me transporter. Trotti trotta, et nous voilà
parties ! Chemin faisant, la souricette me parla d'une de ses
semblables, qu'on appelait la Petite Souris, ou Tooth Fairy en
Angleterre. Cette fée-souris recueille la nuit les dents
de laits des enfants sages, et les échange contre de petites
pièces de monnaie.
Nous arrivâmes bientôt devant un manoir qui avait
dû être magnifique mais malheureusement était
dans l'abandon le plus total. Aussitôt enthousiasmée,
je décidai d'explorer le bâtiment, et trouvai en
haut de la plus haute tour un petit être mélancolique
Ce lutin, le Lorialet, évoquait Pierrot la lune. Poète
et musicien, il connaissait les méandres du passé
et les secrets de l'avenir. Cependant, lui qu'on surnommait le
Lunatique, était fort peu loquace, et vite ennuyée
en sa compagnie, je partis à la découverte du reste
du manoir.
Soudain, des rires clairs surgirent de la bibliothèque
et je voletai dans cette direction. Deux enfants jouaient dans
la pièce, surveillé de loin par une belle dame vêtue
de gris. Elle me dit être une Dame Grise, une Dame du Puits,
et vivre dans cette bibliothèque de laquelle elle protégeait
les enfants, comme ses surs qui occupent les greniers ou
les chemins creux.
Très cultivée, elle me conta les légendes
des Féetauds, ces hommes-fés vivant sur les îles,
dans des châteaux, en plein cur du Royaume des Fées
qui les retiennent parfois captifs dans des éclats de miroirs
Je les connaissais de nom mais je ne sais toujours pas s'ils existent
vraiment, car ils font part avec l'inaccessible, et galopent sur
le vent de l'imaginaire
La Dame Grise me parla aussi des
Femmes Sages, ou Femmes Sauvages, qui se cachent dans des châteaux
de cristal invisibles aux yeux des humains, et qui exaucent les
souhaits des mortels en leur faisant dons d'objets magiques ;
et les Ondines, ces sirènes des sources et rivières
qui entraînent au fond de l'eau puis tuent ceux qui osent
les approcher.
Elle me recommanda de visiter les pays celtiques, foyers de légendes,
qui regorgent de lutins.
De Brocéliande aux Highlands :
Au coeur de la légende
" Il se tient tout entier hors de l'écume,
et ;
s'il y a à l'horizon des navires en détresse,
blême dans l'ombre, la face éclairée de la
lueur
d'un vague sourire, l'air fou et terrible, il danse. "
Le mot "celtique "pénétra
dans mon esprit comme une bulle de savon qui éclate en
un millier de reflets, et réveilla une multitude de petits
souvenirs qui dormaient en moi
" - Brocéliande
la Bretagne
la Cornouailles
le Pays de Galles
les Highlands, murmurai-je. Combien de
fois ne les ai-je pas parcouru en rêve ! On raconte qu'ils
sont le cur de la Féerie, entourés de brume,
et impossibles à atteindre pour ceux qui n'y croient pas.
- Aujourd'hui, tu dois y aller, et là-bas mes conseils
ne te seront pas d'une grande utilité : jamais je ne les
ai traversés, répondit la Dame Grise. Mais n'aies
crainte ! Je vais t'aider à trouver comment y aller. "
Quelques heures plus tard, j'étais confortablement installée
sur le dos d'un épervier, et en me retournant, j'aperçus
au-dessous la pâle silhouette de la Dame Grise, qui me faisait
des signaux d'adieu depuis la fenêtre de la bibliothèque.
Peu à peu, le manoir s'estompait derrière nous,
et lorsqu'il ne fut plus qu'une ombre, je tournai mon regard vers
l'horizon, non sans appréhension : nous allions en
Bretagne !
Après plusieurs heures de voyage, l'épervier me
déposa à l'orée d'une forêt. j'aperçus
une fontaine et me dirigeai vers elle pour me désaltérer,
lorsque je vis un lutin assis sur le rebord. Mon cur fit
un bond, car je ne m'y attendais pas !
" - Bonjour ! Je m'appelle Evanescence, chuchotai-je.
- Je vois que tu es une fée. Moi je suis un Lutik ! Tu
n'as pas l'air de venir de Bretagne, je suppose que tu ne me connais
pas
Que viens-tu faire ici ?
- Je suis Poitevine, j'ai effectué un voyage à travers
toute la France, je cherche des lutins et des fées, répondis-je.
- Je n'aime pas voyager, la Bretagne est si belle qu'elle me suffit
! Mais j'accompagne parfois certains humains toute leur vie. "
Tout d'un coup, sans prévenir, il disparut de ma vue en
un clin d'il, et je me retrouvai seule avec moi-même.
Je décidai donc de m'éloigner de la forêt,
et comme une hermine passai devant moi, elle me prit sur son dos,
et nous nous enfonçâmes dans les landes bretonnes.
La nuit commençai à tomber, et les ajoncs se distinguaient
à peine de la nuit
Nous passâmes devant un
ancien lavoir, et j'entendis chanter : deux jeunes femmes étaient
penchées sur l'eau. Elles ne me virent pas mais je les
entendis discuter :
" - Il n'y a plus beaucoup de passants qui nous importunent,
et nous n'avons plus aucun promeneurs à interpeller, se
lamentait la première.
- Et pourtant, il reste beaucoup d'âmes à blanchir
! " répondit l'autre.
Intriguée, j'allai vers le lavoir, et me penchai vers l'eau
entre elles deux pour admirer le reflet de la pleine lune. Elle
aperçurent alors le mien, si petit était-il, et
se relevèrent pour me regarder. A mes questions, elles
répondirent qu'elles étaient les Lavandières
de la nuit et qu'elles aidaient les pécheurs à expier
leur fautes. Elles me mirent ensuite en garde contre une ogresse
qui hantait les marais de l'autre côté des landes
:
" La Groac'h a prend peut-être l'aspect d'une très
belle jeune fille pour attirer les passants, mais c'est un monstre
cruel et affamé qui dévore tous les humains. Surtout
ne t'approche pas des marais ! "
Je suivis leurs conseils, et toujours à dos d'hermine
m'enfonçai plus profondément dans les landes, en
direction de la mer. Soudain, j'aperçus dans la nuit la
lueur d'un feu qui projetait son ombre sur un dolmen. Je me dirigeai
vers elle, et me cachai derrière le dolmen pour observer
le spectacle qui s'offrait à moi : une farandole de lutins
grimaçant et ricaneurs aux oreilles pointues dansait autour
du feu en
chantant :
" Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi ; lundi, mardi,
mercredi, jeudi, vendredi
"
Amusée, je rentrai dans leur cercle et continuai :
" samedi, dimanche, et la semaine est finie ! "
Ils arrèrent tous de chanter aussitôt et me regardèrent
étonnés :
" - Il y a fort longtemps que quelqu'un n'avait pas osé
danser et chanter avec nous ! Merci d'avoir trouvé la fin
de notre comptine ! Que pouvons-nous faire pour toi petite fée
?
- Me dire qui vous êtes, et me parler de vos cousins, car
je souhaiterais connaître tout le Petit Peuple de ce pays
!
- " Un pays, - non, ce sont des côtes brisées
de la dure Bretagne : Penmarc'h, Toul-Infern, Poul-dahut, Stang-an-Ankou
Des noms barbares hurlés pas les rafales, roulés
sous les lames sourdes, cassés dans les brisants et perdus
en chair de poule sur les marais
Des noms qui ont des voix.
Là, sous le ciel neutre, la tourmente est chez elle : le
calme est un deuil.
Là, c'est l'étang plombé qui gît sur
la cité d'Ys, la Sodome noyée.
Là, c'est la Baie-des-Trépassés où,
des profondeurs reviennent les os des naufragés frapper
aux portes des cabanes pour quêter un linceul ; et le Raz-de-Sein,
couturé de courants que jamais homme n'a passé sans
peur ou mal.
Là naissent et meurent des êtres couleur de roc ,
patients comme des éternels, rendant par hoquets une langue
pauvre, presque éteinte, qui ne sait rire ni pleurer
", récita un de ces hideux lutins.
Ces lignes sont de Tristan Corbière, et si tu les comprends,
tu seras en mesure de nous comprendre, de comprendre la Bretagne.
Maintenant seulement tu vas pouvoir entendre ce que tu nous as
demandé
- Bien, bien, bien
, commença le plus vieux d'entre
eux.
Nous faisons partie du grand peuple des Korrigans, qui domine
toute la Bretagne, de la lisière des bois sombres au milieu
des landes désertes, maître de richesses et de trésors
jamais découverts.
Ici, tous nous craignent et nous évitent : personne n'ose
traverser les landes la nuit, car nous, les Korils règnons
sur la bruyère et les ajoncs, et si par hasard un humain
croise notre cercle, il devra danser avec nous toute la nuit jusqu'à
l'épuisement, à moins que comme toi, il n'ose finir
notre chanson !
Nos cousins, les Kornikaned habitent les bois, les Poulpikans
hantent les mares et les marécages, et enfin, les Teuz
sont des génies domestiques : ils acceptent quelques fois
d'aider les humains, si ceux-ci placent tous les soirs un bol
de lait et un peu de pain à leur attention devant la cheminée.
Mait'Jean et le Boudik s'occupent des chevaux, mais si le premier
aime tresser leur crinière, le second les emmêle
!
Les Hoppers sont des lutins appeleurs qui égare les promeneurs,
comme le Tan-Noz qui prend l'apparence d'un feu follet pour attirer
les passants vers les marécages.
Mourioche est le roi de la métamorphose et tue tous les
promeneurs qui l'aperçoivent, on l'apparente souvent à
la Bête Blanche qui est postée à l'angle des
carrefours.
Les gens d'ici nous nomment tous les Bugale an noz, les "
Enfants de la nuit ", et je ne t'ai cité que les plus
connus d'entre nous.
Mais nous ne sommes pas seuls : les côtes déchirées
et la mer abritent bien d'autres êtres
Les Mari-Morgans de l'ile d'Ouessant nous ressemblent vaguement,
mais ils vivent sous la mer, et s'habillent d'algues et de coquillages.
Ils aident les pêcheurs et les naufragés, alors que
le Tud-Gommon de Tréguier provoque les tempêtes et
dévore les malheureux qui tambent à la mer. Les
Bolbiguéandets habitent aussi sur les rivages, ils retrouvent
les objets perdus. Nicole, de Saint-Brieux, joue des tours aux
marins en emmêlant les fils de pêche ou en soulevant
les ancres.
Enfin, sur l'Ile de Batz, et sur les bords de la Rance, vivent
ceux qui ont quitté les royaumes des Fées. Ce sont
les Fions, anciens domestiques, les Folgoats, qui étaient
les messagers, et les Fois qui étaient écuyers.
On trouve encore quelques Jetins, qui n'étaient au service
des Fées que de temps en temps et qui ont arrachés
les pierres du sol pour les planter. "
La nuit commençait à s'éclaircir, et le
Koril dut abréger son récit. Il me conseilla juste
de passer par la Cornouailles et le Pays de Galles avant d'aller
en Irlande.
Je pris donc congé de mes hôtes et un goéland
me porta jusqu'à un port des Côtes d'Armor. Il se
posa sur la proue d'un navire qui faisait voile vers la Cornouailles,
et je sautai sur le pont. La traversée fut très
pénible, car je dus rester cachée sous un filet
pendant une semaine !
Je traversai la Cornouailles assez rapidement, et ne croisai
dans la campagne que quelques fées : les Browneys. Cette
rencontre me ravit pourtant, car elles me ressemblaient beaucoup
! Toutes petites, elles vivent près des ruches et protègent
les abeilles. Quand je leur fis part de mon étonnement
face au peu de lutins dans cette région, l'une d'elle s'exclama
:
" - Tu n'as pas vu de Pixies ! Par où as-tu bien pu
passer ?
- Je ne me suis pas beaucoup arrêtée depuis que j'ai
débarqué à Plymouth, leur expliquai-je. Je
voyage avec une petite mésange, et elle est très
pressée d'arriver au Pays de Galles où elle doit
rejoindre ses cousines ! Nous ne faisons halte que dans des champs
comme celui-ci
-
et donc tu n'as pas rencontré de Pixies : ils
ne vivent pas dans les champs mais dans les landes, où
il n'y a pas beaucoup d'arbres pour ta mésange ! Ces lutins
de la bruyère s'abritent parfois aussi dans des granges,
et alors ils turlupinent les humains. Les Pixies sont très
malins et très vifs, mais nous les évitons car ils
nous agacent avec leurs farces continuelles ! Un jour, l'un d'entre
eux m'a raconté qu'il était allé dans ton
pays, et qu'il avait rencontré ses cousins, il me semble
qu'on les appelle les Lutins, me confia la petite Browney.
- Je les connais ! Ils m'ont hébergé une nuit
"
La mésange qui me transportait virevoltait sans relâche
autour de nous, et ses sifflements aigus me priaient de quitter
mes amies au plus vite. Je dus donc les quitter le cur triste,
et nous repartîmes pour le Pays de Galles.
Les cousines de la mésange habitaient près de Cardiff,
et elle me déposa près d'une mine que je décidai
de visiter par curiosité, même si j'étais
très effrayée à l'idée de me salir
avec le charbon. j'aperçus des petits charriots posés
sur des rails qui traversaient la mine et je me perchai sur l'un
d'eux. Plus je m'enfonçai dans les ténèbres,
plus le chariot prenait de la vitesse ! Je me cramponnai au rebord
dans les virages, etfermai les yeux dans les accélérations
! Le parcours était rythmé par les coups de pioches
des mineurs et tout d'un coup j'entendis un hurlement sinistre
suivi de quelques cris : " Le Coblynau est là ! "
Losqu'enfin le chariot ressortit de l'autre côté
de la mine, je me dépêchai de sauter à terre,
et je dus m'asseoir quelques minutes, car la tête me tournait,
et j'étais morte de peur ! Heureusement, je n'avais pas
croisé l'esprit qui semblait hanté la mine, ce Coblynau
Je continuai mon voyage cachée dans un train qui fit une
halte près d'un lac. Je désirai me rafraîchir
dans l'eau mais lorsque je me penchai sur le lac, je distinguai
dans ses profondeurs un passage vers un palais de cristal invisible
aux hommes. Je le traversai et découvrit à l'intérieur
de délicates jeunes femmes, les Tylwyth Teg. Nous fîmes
connaissance, mais elles eurent à peine le temps de me
dire qu'elles avaient des cousines, les Fenetles qui rêvaient
encore du grand amour, que déjà le train sifflait
le signal du départ à la surface. J'eus juste le
temps de voleter jusqu'à celle-ci, et déjà,
je repartis pour une traversée du Pays de Galles jusqu'à
Liverpool. Là, je m'embarquai dans un bateau de pêche
en partance pour l'Irlande.
Le bateau effectua un détour par l'île de Man pour
commercer quelques jours. J'en profitai pour visiter l'île,
et près d'une rivière je rencontrai une belle fée,
la Leanan Shee. Elle me dit qu'elle était la source d'inspiration
des poètes de l'île, mais qu'elle ruinait le corps
et l'âme des hommes qu'elle séduisait. C'est pourquoi
les artistes de l'île de Man meurent vite
Après ce détour par le nord, le bateau repartit
en direction de Dublin. Je retrouvai ma place de prédilection
et m'assis encore une fois sur la proue ! Pendant cette traversée
de la Mer d'Iralnde, nous fûmes accompagnés un moment
par des Selkies, des sirènes qui prennent l'apparence de
phoques lorsqu'elles s'échouent sur les rivages. Les pêcheurs
ne les virent pas car elles échappaient toujours à
leur yeux, mais si elle les avaient aimé, ils auraient
été entraînés avec elles dans les profondeurs
de la mer. Soudain, elles disparurent, et un pêcheur poussa
un cri en tendant le bras : une sirène que je ne connaissait
pas apparut à la surface.
" La Masgugue ! s'exclama le pêcheur. Il faut réduire
la voilure, une tempête arrive !"
A ses cris, je me descendit de la proue en vitesse et me réfugiai
dans une cabine. Je me rappelai alors des paroles d'une des Selkies
: " Les Merrows sont les sirènes qui créent
les tempêtes, et la Masgugue les annonce. "
Je ne te cache pas que j'eus très peur pendant le reste
de la traversée, ballotée de part et d'autre de
la cabine par le roulis, trop petite pour résister aux
mouvements du bateau.
Quand nous arrivâmes enfin à Dublin, je me dissimulai
dans le sac d'un des pêcheurs qui se dirigea en connaisseur
vers une auberge qui faisait également office de pub. L'ambiance
était fort bruyante, et le whiskey et la bière coulaient
à flot !
Je descendit dans la cave avec l'espoir de trouver un endroit
calme et éventuellement quelque chose à manger,
mais lorque j'arrivai en bas, l'ambiance était encore plus
débauchée que dans la grande salle !
De nombreux lutins étaient attablés, un jeu de
carte dans la main et une chope de bière devant eux ! Certains
étaient même juchés en haut des tonneaux de
whiskey et chantaient à tue tête ! Je dus me planter
au milieu de la table et crier le plus fort possible pour me présenter,
et alors un concert de voix me lança de joyeux
" Bonjour ! "
Tous se présentèrent à moi : les Cluricaunes
habitaient l'auberge, et c'étaient même eux qui avaient
donné le secret de la fabrication du whiskey qui faisait
sa réputation aux humains qui la tenaient. Ce soir était
un soir de fête, parce que leur cousins Léprechauns
avaient quitté les haies et les talus pour leur rendre
une petite visite. En plus, les Fanfrelons étaient sortis
de leur mines pour dépenser leur paye de la semaine dans
le pub. Il y avait même quelques Cluricaunes émigrés
aux Etats-Unis qui étaient de retour pour la semaine !
Pour fêter ma venue, les Léprechauns rangèrent
leurs pipes et leurs cartes, sortirent leurs violons et entonnèrent
des refrains entraînants. Je me joignai donc à la
fête et dansai avec un jeune Léprechaun appelé
Sammy O'Brian. C'était un rouquin au visage tout constellé
de tâches de rousseurs qui me fit tournoyer en rythme. Tout
le monde était debout sur les tables et claquait des mains
! Je m'amusai comme une folle !
Le lendemain, j'étais éreintée mais je ne
pus m'empêcher de passer la journée à chanter
les chansons de la veille ! Je m'apprêtai partir pour continuer
mon voyage, mais les Cluricaunes m'invitèrent à
passer une autre soirée avec eux, et je dois avouer que
je ne refusai pas ! Cette fois, ils me contèrent les anciennes
légendes irlandaises, comme celle de la fée Ana
qui voulut construire un pont entre l'Irlande et l'Ecosse, ou
celle des Daoine Sidhes qui font partie du Royaume des Fées.
Elles sont fières et courageuses, et vivent encore selon
les anciennes traditions chevaleresques. Ils me parlèrent
aussi des Lurikeens, des Cluricaunes errants qui vivent dans la
misère, mélancoliques et fous.
Les Léprechauns de la famille O'Brian devaient rentrer
chez eux retrouver leurs petites soeurs, et Sammy me proposa de
m'emmener avec eux. Après une joyeuse fête d'adieu
organisée par les habitants de l'auberge, nous quittâmes
Dublin.
En chemin, Sammy me parla des autres lutins irlandais : "
Regarde, Evanescence ! tu vois le poney noir, là-bas ?
"
Effectivement, un petit poney effronté était traquillement
en train de brouter les belles fleurs d'un jardin !
" Ce n'est pas un vrai poney, me dit Sammy, c'est le Fougre.
Il descend d'un essaim d'Esprits des Hargnes et d'une Sidhe des
bruyères
Tu peux imaginer que ça lui a donné
un très mauvais caractère ! Il y a quelqu'un qui
lui ressemble : le Phooka. Il apparaît lui aussi sous la
forme d'un cheval égaré. Il vit dans les landes
et se creuse des trous pour dormir. Il est très capricieux,
et aussi fou et cruel ! Je trouve qu'il ressemble à ce
breton dont tu m'as parlé, Mourioche
"
Puis Sammy se lança dans une imitation du Phooka qui désarçonne
celui qui essaye de le monter et cabriola dans tous les sens :
j'éclatai de rire !
" Les seuls autres lutins irlandais que je connais bien sont
les Shefro, il sont nomades, et jouent des tours à tous
les chrétiens ! "conclut Sammy lorqu'il eut cessé
ses folles pirouettes.
J'étais très heureuse avec les Léprechauns,
et j'eut du mal à les quitter, mais je devais absolument
continuer mon voyage
Je passai donc une semaine magnifique
avec eux, puis je leur fis mes adieu les larmes au bord des yeux,
et je m'envolai vers l'Ecosse.
J'arrivai dans les Highlands, et m'installai dans un château
en ruine qui dominait un lac sombre et profond d'où se
détachaient des lambeaux de brume. Tout autour, s'étendaient
les forêts de sapins noirs. Je me réfugiai dans ce
qui avait dû être une chambre, pour passer la nuit,
quand soudain un hurlement retentit et me glaça le cur.
Une jeune femme entra en coup de vent dans la pièce et
se jeta sur le lit en sanglotant. Je me risquai à lui demander
ce qui se passait.
" Je suis la Banshie de ce château. J'annonçait
les malheurs à ses habitant et mes cris sont chargés
de tous le désespoir qu'ils ont pu connaître. Mais
ils sont tous morts, et aujourd'hui j'erre dans les ruines ou
sur les anciens champs de bataille en me remémorant le
temps où les Ecossais étaient un peuple libre, fier
et sauvage qui osait défier la couronne d'Angleterre sans
peur. Il reste encore quelqu'uns de mes semblables masculins en
Irlande, ce sont les Fear Sidhs. "
Je passai la nuit avec elle mais dès que je le pus, je
sortis faire le tour du château. Je découvris derrière
une bandes de lutins qui m'accueillit.
" - Nous sommes les Brownies, les lutins les plus répandus
en Ecosse, mais aussi les plus gentils, se vantèrent-ils.
Certains d'entre nous vivent dans les Iles Shetland, d'autres
dans les Iles Orcades, et certains se sont même installés
au Pays de Galles et en Irlande ! Si tu te promènes à
côté du lac, tu verras un de nos cousin, un Urisk
solitaire qui aide parfois les hommes qui ne lui sont d'ailleurs
pas reconnaissants. Nous, nous inspirons les poètes qui
nous croisent leurs de leur promenades dans les montagnes.
Au fait, tu n'es pas montée dans la tour du manoir ?
- Non, pourquoi, je devrais ?
- Surtout pas ! s'exclamèrent-ils tous. Il reste encore
quelques Red Caps, les "Bonnets Rouges !"
- Ils ne sont pas gentils ?
- Tu veux rire ? Leur bonnets sont rouges du sang de leurs victimes,
et ils te tueraient s'ils te voyaient ! "
Horrifiée, je ne désirai pas rester plus longtemps
en Ecosse ! Je demandai à un aigle de me porter jusqu'à
Edimbourg.
A travers la toundra
" ... l'être qui participe aux puissances
des profondeurs souterraines :
en y rêvant, on s'accorde à l'irrationalité
des profondeurs. "
Gaston Bachelard
Je me faufilai dans les cales d'un bateau traversant
la Mer du Nord, d'Edimbourg à la Norvège. Je parcourai
Oslo mais la ville, trop agitée à mon goût,
ne me permit pas de trouver un lieu calme. De fait je m'évadai
dans les campagnes où j'aperçus une petite chapelle
abandonnée au cur d'un bois. J'en fus ravie, c'était
tout ce dont j'avais besoin ! J'y entrai mais
malheur !
Il régnait dans cette chapelle un désordre inimaginable.
Les bancs étaient sans dessus dessous, les statues brisées
sur le sol, et des inscriptions indescriptibles recouvraient les
murs de pierre. Bien qu'étant surprise de l'état
des lieux je me trouvai une petite place et commençai à
me reposer. Cela ne faisait pas dix secondes que j'étais
assise quand j'entendis des ricanements derrière moi. Je
sursautai puis me retournai : rien. La scène se répéta
maintes fois, jusqu'à ce que je compris que la chapelle
était peuplée de Church Grims, ces lutins norvégiens
qu'on retrouve aussi en Angleterre, et qui se plaisent à
semer la zizanie dans les lieux religieux. Plutôt effrayée
je sortis sans attendre. Il se faisait déjà tard,
la nuit tombait et il me fallait trouver un endroit où
manger et passer la nuit car il était hors de question
de me creuser un igloo dans les fjords !
Après quelques minutes à dos de lièvre,
je vis au loin la cheminée d'une maison, d'où s'échappait
de la fumée. Un feu devait pétiller dans le foyer.
En m'approchant, des odeurs de nourriture vinrent chatouiller
mes narines, ce qui me poussa à demander l'hospitalité
! Je frappai et c'est par surprise que ma vieille amie la fée
Valas m'ouvrit. Je ne l'avais plus vue depuis des années
mais j'avais su par d'autres fées qu'elle était
devenue fée du berceau. On parla d'elle il y a quelques
temps, car elle avait sauvé de nombreux bébés
volés par les fées Laumes, et qu'elle veillait de
son mieux sur les nouveaux-nés. Elle me pria d'entrer et
de prendre part à la petite fête qui était
en train de se dérouler. La maison était parfaitement
tenue, d'où ma remarque :
" - Dis moi, quelle propreté et quel ordre !
- Tu sais c'est grâce à mes amis lutins les Nisses
ainsi qu'à leurs cousins, les Tomtes. Ils se plaisent à
m'aider à effectuer les tâches domestiques et, lorsque
tout est fait, nous faisons la fête ! "
Mon amie m'expliqua en fait que les Tomtes étaient d'excellents
nettoyeurs mais aussi de très bons danseurs. Tous les soirs,
des musiciens incomparables venaient mettre de l'ambiance après
la journée de travail, les Nokkes. Ces nains jouaient de
joyeux airs sur lesquels les Tomtes avaient l'habitude de danser
en ronde. Ainsi se passa la soirée, dans la joie et la
bonne humeur. Je m'endormis sur un coussin en soie, tout près
de la cheminée, et y passai la nuit.
Le lendemain matin, je prévus de continuer mon périple
en passant par la Suède. Il faisait un froid glacial donc
je dus imaginer un moyen de transport " réchauffant
" afin que mes ailes n'en souffrent pas trop. Pour cela je
me cachai sous l'aile d'un gros oiseau tel que je n'en avais jamais
vu, où il faisait bon vivre ! Ainsi je survolai la Norvège,
enneigée de part et d'autre, jusqu'en Suède. Je
ne savais bien évidemment pas ce qui allait m'arriver mais
ce dont j'étais sûre c'est que je devais encore m'attendre
à bien d'autres rencontres, heureuses ou dangereuses
Le gros oiseau se posa sur des rochers, en montagne, et c'est
très discrètement que je m'extirpai de son plumage
pour partir découvrir les paysages suédois. Je voletai
pendant quelques minutes puis aperçus une sorte de grotte
creusée dans la paroi rocheuse. En curieuse, j'y entrai
et m'y enfonçai. Un bruit insoutenable me perçait
les tympans mais je poursuivis mon exploration jusqu'à
découvrir une mine de pierres précieuses. Une lanterne
éclairait la petite grotte mais sa lumière faisait
scintiller les joyaux de mille feux.
- " Tu veux un collier, serti de pierres, c'est ça
? entendis-je. Eh bien tu n'en auras pas, tralala ! "
Le sournois se montra
Il était laid, à tel
point qu'il aurait pu remporter n'importe quel concours de laideur.
Agacée par ses ricanements je lui demandai quand même
d'où il venait, lui qui était si laid dans ce lieu
secret si merveilleux.
- " Quoi ? Ai-je bien entendu ? As-tu dit laid ? Si tu
me connaissais tu saurais que ma plus grande qualité est
la susceptibilité donc ne tache pas de reprononcer ce mot.
Je suis le Nain, de l'espèce des nains, et sache que je
règne sur les métaux et les pierres précieuses.
Avec mes compatriotes nous sommes à la fois forgerons et
orfèvre, c'est nous qui réalisons les armes des
plus grands dieux qui soient, au plus profonds de nos habitations
souterraines et secrètes. Maintenant va-t-en et ne dis
rien sur cette grotte. "
A ces mots je ne me sentis pas très fière et prise
de peur je m'échappai sans commentaire.
J'avais donc raison : en arrivant en Suède, je n'étais
pas au bout de mes aventures. A peine sortie de cette grotte je
fus de nouveau maltraitée par des nains et des lutins diaboliques.
Je me suis donc demandée s'il existait encore des êtres
bienveillants ! Posée dans une petite dépression
de la roche à l'abri du vent, au sommet d'une montagne,
je fus soudain entourée par des nains géants, difformes
et puants à des kilomètres à la ronde, qui
se présentèrent à moi sans que je le leur
avais demandé.
" - Nous on est des Trolls. Et toi, t'es un fée
c'est ça ? Hum
Pas si terrible que ça, pas
terrible du tout même, dit l'un.
- Plutôt d'accord avec toi, pas si terrible que ça
" rétorqua un autre Troll.
Ces ignobles paroles me firent éclater en sanglots et
je m'apprêtai à quitter mon refuge quand d'autres
nains arrivèrent à leur tour.
" - Pas si vite ma jolie, tu ne vas quand même pas
nous quitter si tôt, tu viens à peine d'arriver.
Tu ne veux donc pas faire plus ample connaissance avec nous ?
" , me demanda un des nains, arrivant vers moi. Cette espèce
de nains, avec celle des Trolls, est une espèce répugnante
qui a une très mauvaise réputation en Suède
et qui est appelée les Dvegars. Personne ne sut me dire
exactement pour quelles raisons les Trolls et les Dvegars étaient
si dépréciés, mais ma simple rencontre avec
eux m'en dit déjà beaucoup quant à leur malveillance.
Je montai alors sur le dos d'une grande oie blanche, de la même
famille que celle qui avait transporté Nils Holgerson
quand un Niss l'évait réduit à une taille
minuscule, et ensemble, nous nous envolâmes vers d'autres
destinations glaciales...
Dans le grand froid
" Cette divinité, et bien d'autres
encore,
ont hanté mes années d'enfance. "
Herman Hesse
Ainsi, après avoir surmonté maintes péripéties
en Scandinavie, j'arrivai au pays des Ougro-Finnois, entre la
Carolie et la Finlande.
Pour me rafraîchir un tant soit peu, je m'approchai d'une
rivière, mais avant que je n'ai pu prendre la moindre gouttelette
d'eau, un être inconnu vint me tirer violemment dans l'eau.
Je criai, me débattis, essayait de me décrocher
des bras de cet ingrat personnage, jusqu'à ce qu'un lutin
arrive à mon secours. Ce dernier me sortit d'affaire et
m'emmena au plus profond de la rivière. Nous arrivâmes
dans un somptueux château où je commençai
à reprendre mes esprits. Mon sauveur me rassura.
" - Ton agresseur n'est rien d'autre qu'un lutin malfaisant
que tous les membres du Petit Peuple de la région appellent
le Kul. Il agit principalement dans les lacs, les rivières
et les eaux profondes. Il a certainement voulu te noyer mais j'ai
entendu tes cris. "
Sa voix réconfortante me permit de me sentir en sécurité
et je lui demandai son identité qu'il ne m'avait toujours
pas révélée.
" - Je suis le Nakki, également lutin des eaux.
Avec ma famille nous avons l'habitude de ne sortir de notre demeure
qu'au moment du lever et du coucher du soleil. Cependant le Kul
fait tellement de ravages que je suis sans cesse obligé
de remonter à la surface pour sauver les victimes. "
Tant d'émotion me firent oublier de rejoindre la terre
ferme. Je discutai longuement avec le Nakki, puis, désirant
continuer mon voyage, je lui demandai conseil quant à la
sûreté des fermes des environs.
- " Tu ne devrais pas demander l'hospitalité dans
les hameaux de la contrée. Il existe des lutins, les Bjära,
qui prétendent faire prospérer les fermes mais qui
en fait volent dans les unes pour apporter la sérénité
dans les autres. "
Je dois dire que je ne prenai guère en considération
son avertissement et rien ne put m'empêcher de quitter son
château immergé. Je remontai à la surface
grâce à un léger battement d'ailes puis je
m'envolai vers la ferme la plus proche. Il faisait nuit et je
n'étais que très peu rassurée quand, voletant,
un lutin m'attrapa et m'enferma dans ses mains. De l'intérieur
il avait de gros doigts, avec de gros ongles sales et crochus
qui dégageaient une odeur nauséabonde. Doucement,
tout doucement, il écarta ses deux pouces pour voir quelle
créature je pouvais bien être. j'aperçus dans
l'ombre son gros nez, sa grosse bouche
et ses grosses dents
quand il me sourit d'un air sournois en se léchant les
babines et en prononçant tout bas :
- " Tu me servirais bien de dîner
hum
chair
fraîche tu me donnes faim !
-Mais qui es-tu et que me veux-tu ? lui répondis-je.
-Tu n'as donc jamais entendu parlé de moi
intéressant,
tu ne sais donc pas ce qui t'attend, ah, ah ah ! Je m'appelle
le Kul, et lorsque je ne trouve rien pour m'alimenter je deviens
redoutable
Tu vois
Je chasse, j'attrape ce que je
trouve appétissant
"
Cette fois je compris la situation. Mon sauveur de la rivière
m'avait bien parlé d'un lutin diabolique appelé
le Kul, mais il avait oublié de mentionner le fait qu'en
plus d'être un voleur, le Kul était un ogre. J'étais
sur le point de servir de plat de résistance, j'étais
effrayée dans les mains de l'odieux personnage mais, par
miracle, je trouvai une solution. Bon nombre de personnes sont
chatouilleuses du creux des mains, alors je fis quelques battements
d'ailes tout contre sa peau et
il poussa un cri et me rejeta
en l'air sans s'en rendre compte. J'avais par chance trouvé
un de ses points faibles, ce qui m'autorisa à redevenir
libre. Toujours en quête vers une ferme proche, mais épuisée
par les événements de la journée, je me posai
finalement sur un nuage où Nukku-Matti, le Marchand de
Sable Ougro-Finnois vint délicatement refermer mes paupières
alourdies par la fatigue.
Je me laissai dériver sur son nuage quelques jours, bercé
par des rêves de bonheur, et arrivai enfin en Russie...
Union du Rêve Surréaliste des Slaves
" Quelqu'un de mice dans l'herbe passe
au hasard, tu l'as sans doute rencontré. "
Emily Dickinson
Je descendis du nuage en apercevant un hameau au
milieu de la steppe russe, ou je décidai de passer la nuit.
Le temps était glacial et je rentrai dans la cour de la
première ferme du village. Une étable et une écurie
encadraient le corps principal qui semblait être l'habitation
des propriétaires. Je me dépêchai de pénétrer
dans l'étable, le bâtiment le plus proche de la route,
pour me protéger du vent froid et mordant.
Je m'apprêtais à m'allonger dans la paille quand
un lutin bondit de derrière les vaches et se campa devant
moi.
" Hors de là Sorcière ! " , s'écria-t-il.
Rapidement, je voletai me réfugier sur la plus haute poutre
de la charpente pour éviter la fourche qu'il brandissait.
Je lui criai mon nom et les raisons de ma présence. Il
héla alors ce qu'il appelait un Niéjit et qui sortit
de la paille, puis lui prenant les mains il le contraint à
danser une farandole en chantant :
" Je suis le Bagan, je suis le Bagan
Sors, sors dans le grand froid qui mord
Je suis le Bagan, je suis le Bagan "
Soudain, il disparut aussi vivement qu'un éclair, pour
réapparaître à mes côtés sur
la poutre. Il m'observa de la tête au pied et constatant
la véracité de mes ailes, il entonna sur le même
air :
" C'est bon, c'est bon, je te crois
C'est bon, c'est bon, tu peux rester là "
Il me demanda de lui raconter mon histoire, puis exténuée
par mon voyage, j'allai m'étendre sur la paille et je m'endormis.
Au matin en m'éveillant, je constatai que le Bagan avait
disparu, mais j'aperçus le Niéjit un brin de paille
entre les dents, qui s'apprêtait à renouveler le
fourrage des bêtes.
Il me dit :
" L'grand patron l'est pas là. L'est dans la maison.
C'est L'Domovoï son nom et y pourrait ben te renseigner si
tu veux "
Voir le " Grand Patron " pouvait être intéressant
pour ma quête. Malheureusement, celui-ci avait trop de travail
et ne put pas me recevoir. Ce fut donc sa femme, la Kikimora qui
me renseigna dans un premier temps. Son époux dirigeait
les autres lutins de la maison et était très attaché
au foyer qu'il habitait. Elle, aidait les ménagères
de la ferme en s'occupant de la volaille et de la vaisselle.
" Le Pessaias et le Kurkis, son cousin, protègent
les animaux domestiques, m'apprit-elle. Hovimmik et Vasily sont
les génies de l'écurie et soignent donc les chevaux.
Mais tu apprendras toutes ces choses bien mieux si elles viennent
de la bouche de mon compagnon. Lui saura te parler de notre peuple,
de la Russie à la lointaine Pologne. Repose toi, visite
la ferme, si tu veux, en l'attendant. Et peut être désires-tu
te laver après le voyage que tu as fait ? Suis moi, je
vais te montrer la salle de bain, mais prend garde au Bannik si
tu vas dans le sauna : c'est un être pervers et vicieux.
Et surtout, n'aies pas peur si une fée traverse rapidement
une des pièces où tu te trouves. C'est la Krimba,
la fée qui nous aide. "
Après ma toilette, j'eus la possibilité de survoler
la steppe à dos d'aigle. La splendeur des étendues
qui défilaient sous moi était vraiment à
couper le souffle. En bas, j'apercevais des meutes de loups qui
parcouraient la steppe sans relâche. Il n'y avait presque
pas d'habitations, et très peu de routes menaient au village
où j'étais accueillie.
Quand je rentrai à la ferme, il était déjà
l'heure de passer à table et je me dépêchai
pour ne pas retarder mes hôtes qui m'attendaient.
Pendant le repas, offert par les humains en remerciements des
services rendus par les lutins, la discussion fut animée,
mais quand nous nous retirâmes près du feu, tout
le monde fit silence et attendit que le Domovoï prenne la
parole. Celui-ci paraissait plongé dans de très
anciens souvenirs et lorsqu'il parla enfin, ses mots évoquaient
en nos curs le grand vent du Nord, les vieilles isbas et
les forêts immenses. Il nous parla de la fée Aitvana
qui convertit les paysans au christianisme, de la Babouchka qui
distribue à Noël les cadeaux aux enfants et des Ielles
des Carpates qui du fond des vieilles tombes et des arbres creux
influencent le temps et les récoltes. Le Domovoï évoqua
également la fée Smégurochka qui annonce
le retour du printemps, et les Boginka qui tètent les dormeurs
pour haleter les nourrissons abandonnés.
Mon hôte s'interrompit un instant pour ranimer le feu.
Lorsqu'il reprit le cours de son récit, il nous décrit
le Dikonk, lutin vagabond qui dort à la belle étoile
et protège les cultures alors que son cousin le Polévik
se révolte contre les machines qui commencent à
remplacer les moissonneurs et vole son travail. C'est pourquoi
il attaque les femmes dans les champs pour se venger.
Aussi mauvais et dangereux : le Léchy de la forêt
égare les promeneurs, tandis que le Vodianoï avec
sa compagne la Roussalka vivent dans l'eau et noient les filles
et les enfants.
Enfin, le chef de la demeure nous conta qu'il existait, en Tchécoslovaquie,
les Venusleute des collines, des êtres très jolis,
mais aussi très timides si bien qu'ils n'osent pas appeler
les hommes et aident seulement les enfants.
Si les Germains m'étaient contés...
" - 3 coups, c'est un Knocker !
- 24 coups, c'est un Wichtlein ! "
Je passai quelques jours avec mes chaleureux hôtes,
participant à ma mesure à leur tâches quotidiennes.
Mais il me fallait songer à faire mes adieux. Leur sympathie
envers moi était si grande qu'un renne fut mit à
ma disposition pour mon voyage et je partis donc vers l'Est après
les avoir chaleureusement remerciés. Le vent des steppes
était glacial, mais je me protégeai de sa morsure
en me cachant dans l'encolure de ma monture.
Après une dizaine de jours de trotte, j'arrivai
dans une nouvelle terre où le vent était beaucoup
moins froid. Je laissa donc le renne retourner à pied et
je continuai ma quête à tire d'aile.
En apercevant une petite rivière, je décidai
de me reposer sur son rivage.
Assise sur un nénuphar, les pieds dans l'eau, j'aperçus
soudain une superbe jeune femme toute de vert vêtue. Je
ne comprenais pas pourquoi elle jouait sans cesse avec ses cheveux
d'un air aguichant. Elle laissa négligemment tomber son
mouchoir à l'eau, et à cet instant je découvris
sur l'autre rive un pêcheur qui se jeta aussitôt à
l'eau avec l'intention de le ramasser. Le voyant se démener
avec ridicule et disgrâce, la belle éclata d'un rire
moqueur, plongea à son tour et disparut dans l'onde tourbillonnante.
Le pêcheur, déconfit, jura : " Garce de Dame
Verte ! ". Devant son air pataud, je ne pus m'empêcher
de m'esclaffer gaiement.
Mais les éclats de mon rire détachèrent
le nénuphar et je me laissai glisser au fil de l'eau. La
petite rivière rejoignit bientôt une plus grande
qui à son tour se jeta dans un fleuve que je devinais être
le Rhin...
A mon arrivée, je fus accueillie par des
sirènes qui bondissaient devant moi telles des dauphins
précédant un navire. Elles se présentèrent
comme des Nixes accompagnées de quelques-unes unes de leurs
cousines, les Tiffenotes, plus coquines et moqueuses, et qui aimaient
éclabousser les pêcheurs mais qui ne m'accompagnèrent
pas plus loin que la Lorraine. Elles étaient toutes des
cousines des Merrows irlandaises. Les Nixes me suivirent tout
le long de mon périple sur le Rhin, mais me conseillèrent
de ne pas aller jusqu'au Pays Bas : " Même si dans
la mer tu rencontrerais nos belles cousines les Monluzermes qui
vivent dans de magnifiques palais sous l'eau, cela t'obligerait
à passer par un port où règne Kludde, Osschort
et Roeschaard, trois mauvais esprits qui hantentles bouges des
ports et sont plus méchants que facétieux. "
Je m'arrêtai donc dans les Flandres où
je fis la connaissance d'un Kabouter et d'un Sotê, deux
nains dont l'un vit dans les montagnes et réalise toute
sorte de travaux pour aider les hommes, et l'autre, un peu plus
fainéant, n'aide que les ménagères.
Je discutais avec eux, quand soudain un grand vent se leva et
je fus enlevée par une bourrasque. Mes petites ailes ne
furent d'aucune utilité pour lutter contre le vent. Après
quelques vains efforts, je m'assis sur un nuage et me laissai
emporter par un courant ascendant.
Quelques jours plus tard, j'atterris au sommet d'une montagne
dans les Alpes. Je me croyais perdue et complètement seule
lorsque je découvris qu'une Dame Bleue, Vierge des Glaces,
était assise sur la plus haute pierre. Splendide et glaciale,
elle regardait l'horizon. Sa pureté n'avait d'égale
que sa beauté. Malgré les apparences, elle se révéla
très amicale et me parla des autres fées des montagnes
ainsi que de son rôle :
"- J'aime planter des fleurs et soigner les chamois, mais
je protège surtout les chalets des avalanches. Mais ne
t'avise de me confondre avec la Dame Rouge qui punit les enfants
et pousse des cris plaintifs, ne cessant de se lamenter.
- Et connaissez-vous d'autres fées ?
- Bien sûr ! Il y a Dame Holle, la fée des neiges,
notre doyenne. Une très vieille et très respectable
femme qui a le désordre en horreur. Elle récompense
les enfants à Noël, tout comme Tante Arie d'ailleurs,
mais celle-ci vient du Jura alors que Dame Holle est allemande.
J'ai aussi entendu parler d'une Puck dans la lointaine Angleterre,
à ne pas confondre avec le Puck de Shakespeare dans Songe
d'une nuit d'été. La Puck annonce le retour
du printemps elfique et est très pétillante. Une
fois encore, on m'a parlé des Fileuses de nuit. Beaucoup
de contes pour enfants les nomment les Fées Marraines car
elles sont présentes le jour du baptême de leur filleul(e)
et le protègent toute sa vie.. Elles encouragent les travailleurs
et punissent les paresseux.
Enfin, la plus dangereuse de toute est Fraü Gaude. Elle s'installe
dans les foyers d'un Noël à l'autre et rôde
avec ses affreux chiens effrayant tout le monde.
Mon savoir sur mes semblables s'arrête ici car je ne rencontre
que peu de monde sur ces sommets. Mais cela m'a fait plaisir de
te parler. Si tu le souhaites, je peux demander à un chamois
de te promener dans la montagne, peut-être rencontreras-tu
d'autres peuples, qui sait ? "
J'acceptai son invitation et la remerciai. Elle siffla une petite
mélodie et un magnifique chamois au pelage doré
arriva sautant de pierres en pierres avec agilité.
Il s'appelait Vergoldet ce qui signifie "doré"
en allemand. Il me fit découvrir une petite partie du massif
alpin.
Alors que nous escaladions un pic inaccessible pour un simple
humain, j'entendis un bruit presque inaudible, comme une sorte
de cliquetis de montre mais qui semblait venir... de l'intérieur
de la montagne ! Je descendis de Vergoldet et tentai de me rapprocher
de l'endroit d'où semblait venir le bruit, quand je chutai
dans un trou à peine plus large que la plus petite branche
d'un chêne, et que je n'avais pas vu parce qu'il était
recouvert d'une fine couche de glace. J'atterris fort heureusement
sur un monticule de ressorts et je découvris alors une
gigantesque machine, qui semblait occuper tout l'intérieur
de la montagne au point qu'on n'en pouvait voir le bout. De l'intérieur,
le bruit était presque assourdissant et je voyais tous
les balanciers s'agiter avec frénésie, les aiguilles
de ses multiples cadrans tourner à différentes allures.
Je me mis en quête de trouver les créateurs de cette
mécanique. Derrière quelques rouages, je croisai
un être qui semblai effectuer quelques réparations
et qui grommelait, ses opérations sur la machines ne semblant
pas fonctionner.
" - Excusez-moi de vous déranger, mais j'aimerais
savoir qui aconstruit cet engin ?
- Cet engin, comme vous dîtes, est une horloge. La meilleure
qui existe au monde. Et j'ai participé à son élaboration,
me répondit-il l'air pincé.
- Désolée, je ne voulais pas vous vexer. Mais de
quelle espèce êtes-vous ?
-Décidément, vous êtes bien ignorante, jeune
fée. Je sui un Klok's Tomte. Horloger, pour être
plus précis, mais je suppose que vous aviez au moins deviné
cela. "
Ce lutin m'impressionnait vraiment, mais je pris mon courage
à deux mains pour lui expliquer que j'étais envoyée
en mission pour parcourir l'Europe et référencer
tous les peuples de la Féerie
Il sembla alors s'adoucir et me dit
" - C'est normal, après tout, si vous ne nous connaissez
pas. Nous sommes très occupés par nos créations
d'orfèvrerie, d'horlogerie ou de mécanique (qui
dépassent l'entendement humain bien sur), et nous sortons
peu de sous nos montagnes. D'ailleurs, nous conservons toutes
nos inventions, rien ne sort de cet endroit.
- Vous voulez dire qu'il n'y a aucun moyens de sortir d'ici ?
lui demandai-je un peu inquiète.
- Malheureusement pour vous pas pour le moment, mais nous mettons
actuellement au point une machine qui permet de se déplacer
dans un autre endroit, puisse-t-il être de cette montagne.
Vous pourrez donc nous aider à l'expérimenter, dit-il
en se frottant les mains. Rassurez-vous, tous nos appareils ont
très bien fonctionné, jusqu'à présent.
Mais suivez moi je vais vous donner quelque chose à manger,
vous devez sûrement avoir faim. "
Il m'emmena alors dans une petite pièce où brûlait
un feu de cheminée. Je m'assis dans un fauteuil très
confortable tandis qu'il me préparait un thé.
" - Je vais vous dire ce que je sais à propos des
lutins germaniques, si cela peut vous aider dans votre quête,
dit-il en m'apportant une assiette de biscuits au chocolat.
Je vais commencer par ceux qui peuplent les foyers :
Tout d'abord, il y a les Bermaennleins. Ils réalisent tous
types de travaux pour aider les hommes. Ils sont vraiment différents
de nous, ils n'ont pas peur du contact avec les humains et le
recherchent même.
Puis il y a les nains de Blanche-Neige, qui existent réellement,
comme tous les personnages de contes de fées. Leur vrai
nom est Bergleute. Ils travaillent les diamants dans des mines.
Et comme dans le récit, ils sont très jovials et
généreux.
Les Heinzelmännchen demandent de la nourriture en échange
des services rendus dans le foyer des humains. Un peu comme les
Hojemaennels qui s'occupent du jardin et le protègent.
Les Koboldes qui sont de la même famille que les Gobelins
et les Gremlins passent pour des êtres maléfiques
mais en réalité ils protègent le foyer.
Et il y a le Sotré, qui n'est pas vraiment féroce
mais très colérique et très effronté.
Mais pire encore en terme de taquineries, existent les Spunkies
: se sont de petits pickpockets qui détroussent gendarmes
et curés, et qui vivent en Angleterre.
Enfin, méfie-toi des Nutons car ils saccagent les bois
du Sôte parce qu'ils sont jaloux de son entente avec les
hommes dont ils sont eux les souffres-douleur.
D'autres lutins préfèrent vivre dans les mines
ou les montagnes comme nous.
Par exemple, les Boublin belges et leurs cousins les Knockers
allemands préviennent des chutes de pierres. Un peu comme
les Gnomes qui sont puissants et aident les hommes.
Les Erdluitles recherchent davantage la tranquillité et
le recueillement. Ils sont très savant car ils passent
leur temps à observer les phénomènes de la
nature. Ils sont donc pacifiques.
Il y a aussi les Quiet Folk, forgerons ou artisans. Ils sont un
peu magiciens et fabriquent des filtres. Ils sont bons avec les
personnes qui le méritent mais aussi très mauvais
avec les méchants.
Enfin, il y a les Nichets, qui eux se contentent d'extraire du
Nickel dans le Luxembourg.
Mais prend garde aux Witchleins ! Ils sont sombres et malfaisants,
provoquant des effondrements dans les mines et jouant de très
méchants tours.
D'autres lutins préfèrent vivre dans des endroits
moins classiques comme les cimetières, les églises.
Par exemple, les Croqueurs d'os, qui nettoyaient les champs de
batailles. Ils se nourrissent exclusivement de cadavres et hantent
les ténèbres. "
Il interrompit alors son discours et resta assis tenant sa tasse
entre ses deux mains comme s'il les réchauffait. Un autre
Klok's Tomte entra et lui demanda de l'aide, pour l'horloge. Il
me dit de rester et de l'attendre un moment.
Mais je m'assoupis dans le fauteuil. Lorsque je me réveillai,
je constatai qu'on avait mis une couverture sur moi et qu'un petit
déjeuner avait été préparé
à mon intention.
Je sortis du petit salon en quête du Klok's Tomte qui m'avait
accueilli. Je déambulais autour de l'impressionnant mécanisme.
Quand je reconnus sa voix qui m'interpellait
" - Enfin réveillée, jeune fée ! Vous
tombez bien, nous venons de finir les dernières mises au
point de la machine déplaçante. Vous n'avez aucune
peur à avoir. Y a-t-il un endroit particulier où
vous désirez aller ? "
Sans cesser de parler et il me poussait en même temps vers
une sorte de grande plateforme à laquel était suspendue
une grande cloche de verre. Un mécanisme était fixé
au pied de la plate forme et au sommet de la coupole en verre.
" - L'Angleterre ça vous plairait de visiter ? Ils
sont un peu comme nous vous savez. Un peu germain.
- Heu oui, pourquoi pas, m'entendis-je murmurer. Mais vous êtes
sûr que ça marche? Je veux dire : il n'y a pas de
risque ?
- Aucun, ça n'est jamais arrivé jusqu'à présent
alors pourquoi ça commencerait !"
La cloche se referma sur moi. Je voyais ses rouages s'activer
de plus en plus vite et de la fumée apparut tout autour
si bien que je ne pus voir mes hôtes qui s'affairaient et
semblaient un tantinet inquiet.
Puis, je me sentis comme aspirée de l'intérieur.
Je m'accroupis et mis mes mains au-dessus de ma tête dans
un réflexe de protection.
Lorsque tout sembla s'être calmé, je jetais un coup
d'oeil.
Incroyable !! J'étais dans une verte campagne au sommet
d'une petite colline. La Puck avait bien fait son travail, car
je sentais un air de printemps venir.
Je descendis de la colline et suivit le petit chemin qui la contournait.
Au bout d'un quart d'heure de voletage environ, je trouvai une
borne kilométrique qui m'indiquait que j'étais à
2 miles de la commune de Stratford-Upon-Avon. J'étais donc
en Angleterre.
Je poursuivis ma route et croisai bientôt celle d'un Klabber
du nom de Clocking. Il se rendait également à Stratford
et nous fîmes donc la route ensemble. Il rentrait dans son
foyer après avoir moulu le grain du village voisin et balayé
le moulin. Il avait eu en récompense de ses services une
tarte au pommes qu'il partagea avec moi.
En arrivant en ville, il me fit entrer dans une maison par la
gouttière. En arrivant sur le toit, il souleva une tuile
et nous entrâmes dans le grenier. Clocking se dirigea vers
un vieux coffre à jouets, et en frappa 5 petits coups bref
comme un signal. Le coffre s'ouvrit et un lutin en sortit d'un
bond agile.
" - Salut Clocking ! Comment vas-tu ? Oh mais je vois que
tu m'amènes de la compagnie. Je me présente : Bogie
Beast, génie de l'enfance à votre service. Que puis-je
faire pour vous, damoiselle fée ? Créer un cauchemar
pour un enfant vilain ou le rêve en récompense d'une
bonne action ?
- Je préfèrerai que vous m'indiquiez où je
pourrais voir d'autres représentants des espèces
de la Féerie en Angleterre. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients.
- Aucun damoiselle fée...
- Je m'appelle Evanescence, l'interrompis-je.
- Quel prénom superbe et qui vous va à ravir ! Si
vous voulez bien me suivre, je vais vous montrer quelque chose
qui devrait vous plaire. "
Il m'emmena à l'étage inférieur de la maison.
Alors que nous étions cachés dans le porte parapluie,
il me dit de ne pas faire de bruit et d'attendre quelques instants.
Effectivement quelques minutes plus tard, je vis la porte d'entrée
s'ouvrir et un petit lutin entra dans la demeure avec précaution
comme s'il ne souhaitait pas se faire surprendre, il avança
de quelques pas prudent et sortit de sa poche quelques pièces
de monnaie qu'il fit tinter par terre et il détala à
toute vitesse.
Encore éberluée de la rencontre que je venais de
faire, je sortis du porte-parapluies et demanda :
" - Qu'est-ce que c'était ? Pourquoi a-t-il fait cela
?
- C'est un Ferier, me répondit le Bogie Beast. Ils déposent
un peud'argent aux hommes qui en ont besoin. Mais il ne veut pas
se faire prendre. L'argent, il l'obtient de Robin Goodfellow,
l'esprit de Robin des Bois, qui a inspiré la légende.
Mais suivez-moi, je vais vous montrer quelque chose d'autre "
Nous sortîmes de la maison et suivant la route, il m'emmena
dans une église. A l'intérieur, l'ambiance était
très feutrée et quelques fidèles priaient.
Le Bogie me fit signe de ne pas faire de bruit mais de bien écouter.
En me concentrant, j'entendis de petits ricanements autour de
moi. Puis, je vis des cierges tomber par terre, sans raisons apparentes.
Le curé accouru les ramasser et grommela : " Saleté
de Chuch Grims. Ils n'ont aucun respect pour les prières.
" En haut de la colonne qui était près l'endroit
où se tenait le prêtre, je vis un affreux lutin,
accroché à une gargouille, qui fit une horrible
grimace au curé, puis sauta et courut se cacher derrière
une statue. Je n'étais pas trop étonnée,
car tu te rappeles, j'avais déjà rencontré
d'autres Church Grims, plus méchants encore, en Scandinavie.
Cette fois-ci, je n'étais pas seule, et aux lieu de m'effrayer,
la scène me fit rire !
Je ressortis de l'église. C'était un beau début
d'après midi de printemps, le soleil commençait
à réchauffer timidement la terre et ses rayons faisaient
frémir mes ailes.
Je fis mes adieux au Bogie Beast en le remerciant pour tout ce
qu'il venait de me montrer et je m'envolais en direction du Sud.
Quand le rêve rencontre le mythe
" Le visage d'Elrond était sans âge,
ni jeune ni vieux,
bien qu'on y pût lire le souvenir de maintes choses
tant heureuses que tristes.
[...] ses yeux étaient du gris d'un soir clair,
et il y avait en eux une lumière semblable à celle
des étoiles.
Il paraissait aussi vénérable qu'un roi couronné
de maints hivers,
et pourtant aussi vigoureux qu'un guerrier "
John Ronald Reul Tolkien
Et j'arrivai à Oxford. Je souhaitais voir la ville de
haut, mais fatiguée par le voyage, je demandais à
une tourtelle de me prendre sur son dos et elle accepta de me
faire visiter la ville. C'était superbe.
Alors que nous survolions un vieux bâtiment, je vis un
jeune homme en sortir. Il était d'allure athlétique
et avait une taille tout à fait normale. C'était
un humain commme un autre, mais je ressentais quelque chose de
particulier qui émanait de lui. Il venait d'entrer dans
un parc, s'était assis sur un banc et avait sorti un carnet
sur lequel il écrivait.
La tourterelle me déposa près de lui et je voletai
jusqu'au dossier afin de lire par dessus son épaule. C'était
beau : il écrivait une histoire d'amour. Tu ne peux pas
ressentir ces choses là, mais il inventait des personnages,
leur insufflait la vie par sa plume et les faisait s'aimer. C'était
l'histoire d'un homme et d'une Elfe : Beren et Luthien, qui ne
pouvait vivre leur passion car elle, était immortelle,
et lui était humain. Ce qu'il écrivait m'ému
au plus haut point et je mis à pleurer.
Une larme tomba sur sa main et il ressentit alors ma présence.
Il se tourna vers moi, ses yeux s'ouvrirent en grand, une expression
d'émerveillement apparut sur son visage, et il me dit en
murmurant :
" - Si c'est un rêve, alors je souhaite ne jamais
me réveiller "
Je lui souris et lui répondis : " Tends la main.
" Je sautai dans sa paume qu'il venait d'ouvrir afin qu'il
prenne conscience de ma réalité.
Il sembla me soupeser un instant et me demanda mon nom. Je voletais
jusqu'à son épaule et m'appuyant au bord de son
oreille, je lui murmurai :
" - Evascence...
- Que veux-tu ? me demanda-t-il
- Te connaître, toi et le monde que tu crées, parce
que c'est magique de rencontrer des êtres comme toi et que
je veux te faire part de mes rencontres, parce que c'est mon rôle
et que je t'ai choisi. "
Il m'emmena chez lui et là, Ronald, car c'est ainsi qu'il
s'appelait, me parla du monde qu'il venait d'inventer. Un terre
inconnue nommée Eä, avec ses peuples, son histoire.
En même temps qu'il me parlait, il me donna du lait dans
un dé à coudre avec des biscuits au miel et tandis
que je me régalais lui buvait son thé.
Nous continuâmes de discuter très tard dans la nuit
: la lune allait se coucher et on pouvait l'observer, ronde, jaune
comme les feuilles des anciens livres, et l'on distinguait certains
de ses cratères.
" - J'aime observer la lune en me disant qu'au même
instant quelqu'un la regarde également et pense la même
chose que moi " , me dit-il d'un air rêveur.
Puis il me prépara un lit dans un plumier qu'il remplit
de coton et me donnaun mouchoir en guise de drap.
Je restai chez Ronald des années, personne à part
lui n'était au courant de ma présence. Il m'informait
de l'avancée de ses ouvrages, et je lui racontais des anecdotes
de voyage qu'il utilisait de temps à autre dans ses récits.
En 1937, il publia son premier roman, intitulé "
Bilbo le Hobbit " . Cet ouvrage rencontra un grand succés
et j'en fus très fière. Un vingtaine d'années
plus tard, il décida de rédiger la suite de son
épopée. J'aimais beaucoup ce qu'il écrivait
car cela me rappelait mon propre voyage : il racontait en effet
l'histoire d'une communauté qui effectue un périple
dans des contrées reculées de leur monde, la Terre
du Milieu, un des deux continents d'Eä, dans le but de le
sauver d'un pouvoir maléfique qui voulait le gouverner.
Ce qui me plut par dessus tout, c'est que ces personnages étaient
de races différentes : ils devaient apprendre à
se connaître, à vivre ensemble, et ils rencontraient
beaucoup d'autres espèces au cours de leur odyssée.
Tout d'abord, il y a les Hobbits, comme Bilbo, Frodon, Merry
ou Sam. Les Hobbits sont de petites tailles et mesurent entre
60 centiètresm et 1 mètre 20, d'où leur appellation
de Semi-Hommes. On les reconnaît également à
leur pieds velus et à leur embonpoint. Un Hobbit vit en
moyenne 100 ans et aime à profiter du temps qui lui ait
donné à vivre car il est joyeux, facétieux,
sympathique. Le Hobbit est un bonhomme très casanier et
il n'aime pas les aventures (mais son courage sait se révéler
dans les pires situations).
Viennent ensuite les Elfes. Legolas, Arwen, Elrond ou Galadriel
en sont les principaux représentants. Ce sont les plus
belles des créatures. Ils mesurent 1 mètre 80 à
2 mètres, c'est un peuple fin et très gracieux mais
aussi très résistant aux intempéries extrèmes
de la nuit. Leur sens sont très developpés : ils
voient et entendent beaucoup des choses hors de portée
de simples humains, mais aussi des choses invisibles à
nos yeux. Ce sont des êtres parfaits moralement et physiquement
et ils sont immortels. Mais loin d'être arrogants et méprisant
envers les autres, ils préfèrent se retirer dans
la spiritualité et vivent donc cachés dans des forêts.
Les Nains forment un peuple trapu mesurant environ 1mètre
50, robuste et très résistant à la faim et
à la douleur. Ils vivent près de 250 ans. C'est
un peuple fier et très possessif vis-à-vis de toutes
les substances issues de la terre comme les pierres et les joyaux,
et qui vécut dans la profondeur des grottes de Khazad-Dûm
puis des Montagnes Bleues. Ils n'oublient jamais un méfait
ou une dette.
Ronald a également parlé de peuples qui ont beaucoup
de répresentants, comme les Ents, des arbres qui parlent
et se déplacent, ou encore les Maiars comme Gandalf par
exemple : ce sont des magiciens chargés de protéger
la Terre du Milieu. Malheureusement, certains ont été
attirés par le mal et sont devenus mauvais comme Saroumane.
Les ennemis principaux des héros de son récit sont
des Orcs qui sont une branche dégénérée
des Elfes car ils ont été torturés physiquement
et psychologiquement. Ils n'aiment qu'une chose : faire le mal,
et haïssent tous les peuples y compris leur propre race,
et leur propre personne.
Ma rencontre avec Ronald fut la plus mémorable de mon
existence et lorsqu'il mourrut en 1973, j'en fus si attristée
que je le pleurais durant des jours et des jours. Lorsque je récupérai
un peu mes esprits, je me rendis compte que je n'avais plus aucune
raison de rester à Oxford, et je pris alors la décision
de rentrer en France, puis de m'établir à Brocéliande.
Je remontai la Tamise à bord d'une péniche jusqu'à
la mer, et là je demandai à un groupe de mouettes
qui voulaient s'installer Outre-Manche de me prendre avec elles
pour la traversée. Elles me déposèrent à
Saint-Malo et je regagnai Brocéliande à l'aide de
deux biches, un cerf et pigeon.
La peine que m'avait causée la disparition de la Ronald
m'affectait toujours et rentrer me fit du bien. "
Un raccourci vers les champignons
" Les fées nous endorment,
nous ouvrent les portes de leur royaume,
qui se referme sur nous sans qu'elles aient
pris la précaution de nous en remettre la clé. "
Jean Tétreau
Evanescence se tut et je la regardai avec de grands yeux émerveillés
dans lesquels brillait l'admiration.
" - Le récit que tu viens d'entendre, Estelle, est
un cadeau, reprit la fée. Il ne doit pas être oublié
car il est notre histoire, l'histoire du Petit Peuple de toute
l'Europe. Nous vivons à travers les contes, mais les hommes
nous oublient peu à peu, et bientôt les hommes ne
nous connaîtront plus, ou alors ils ne connaîtrons
que certains d'entre nous. C'était mon cas avant que je
parte en voyage, mais maintenant, j'ai compris nous sommes tous
liés les uns aux autres. "
Evanescence fit apparaître une petite boîte nacrée
qui reflétait toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.
" - Cette boîte contient un petit peu du scintillement
de chacun des lutins et des fées que j'ai rencontrés.
Un jour, dans très longtemps, tu seras grand-mère
et alors tu remettras cette boîte à ta petite fille,
tu lui raconteras mon histoire qui ainsi perdurera. Tant que quelqu'un
se rappellera de nous, nous continuerons à vivre. "
J'acquiesçai vivement et promis de toujours avoir une
pensée pour Evanescence au lever du soleil, à ce
moment où l'on ne dort plus vraiment, mais où l'on
se rappelle avoir rêvé
La fée eut alors
un rire clair et perlé, sauta d'un bond léger de
ma main, battit plusieurs fois des ailes, claqua des doigts, et
tout à coup, elle disparut, ne laissant derrière
elle qu'une nuée de paillettes qui vinrent me piquer yeux
d'Estelle.
Subitement fatiguée, je baillai et m'allongeai
Retour au coin du feu
Chaque fois qu'un enfant dit : " Je ne crois
pas aux fées " ,
il y a quelque part une petite fée qui meurt.
Peter Pan, James Barrie
"
lorsque je me réveillai, continua la grand-mère,
je me frottai les yeux, mais Evanescence s'était bel et
bien évaporée. Je regardai autour de moi, et je
vis que je m'étais endormie sur un matelas de mousse au
milieu d'un cercle de petits champignons. De grosses fraises juteuses
et sucrées, que je ne me rappelais pas avoir cueillies,
débordaient de mon panier posé à côté
de moi. Je pensais avoir rêvé ce qui m'était
arrivé, mais en glissant la main dans ma poche, je sentis
la petite boîte que m'avait offert Evanescence. Je sus alors
que ce n'était pas un rêve
"
La grand-mère se leva et fouilla dans la grande armoire
de la salle. Elle sortit la boîte que Evanescence lui avait
offert et la tendit à Eä.
" Tu l'offriras toi aussi à ta petite fille. Et n'oublies
pas que cette histoire est un don ! Il faut que tu la transmettes
au plus de monde possible, pour que le Petit Peuple et toute la
Féerie restent dans les mémoires. "
***
Voilà, c'est fait : aujourd'hui, le 45ème jour
du 3ème hiver du 3ème millènaire, j'ai fini
de retranscrire ce que ma grand-mère me conta ce jour-là.
J'ai aujourd'hui à mon tour une petite fille, et bientôt
je lui remettrai la boîte d'Evanescence.
En attendant, j'espère que vous aussi raconterez son histoire
à vos proches, pour que jamais personne n'oublie les lutins
et les fées.
Merci de m'avoir crue, merci d'être entré dans mon
monde, celui de l'imaginaire, de la légende, le monde de
l'invisible et de l'insaisissable, qui nous entoure, et que trop
souvent nous oublions...
Adieu,
Eä
" Le conte est fini, je vais le replacer
sous l'arbre où je l'ai trouvé et où quelqu'un
viendra le reprendre... "
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